L’institution publique d’éducation surveillée

L’IPES à Bruté (crédits : Fonds Henri Manuel – ENPJJ)

En 1942, suite à la construction du mur de l’Atlantique par les Allemands, la colonie de Belle-Ile est fermée. L’établissement rouvre, fin 1945, pour recevoir des mineurs qui s’étaient engagés dans la milice ou dans l’armée allemande dans le cadre de la division Charlemagne.
Ce n’est qu’en avril 1947 que la nouvelle direction de l’Education Surveillée, créée en 1945, ouvre à Haute Boulogne l’établissement pour des jeunes relevant de l’ordonnance du 2 février 1945 sur la jeunesse délinquante. L’établissement de Haute-Boulogne devient officiellement une Institution Publique d’Education Surveillée (I.P.E.S.).
La réforme sera lente. Le poids du passé et l’insularité rendront difficile la mise en place d’un projet éducatif avec l’arrivée des premiers éducateurs et enseignants professionnels.

La vie quotidienne des pupilles s’améliore petit à petit, même si Belle-île reste un établissement redouté par les jeunes détenus comme par les éducateurs, pour sa sévérité et ses conditions de détention. Graduellement pourtant de nouveaux éducateurs, pétris d’idées réformatrices et généreuses, frais émoulus de l’école de Vaucresson, rejoignent les équipes en place. Mais mettre en pratique ce qu’ils ont appris à Vaucresson n’est guère facile – règlement pointilleux, manque de moyens matériels et financiers, nombre excessif des détenus… rapidement les éducateurs sont contraints à des tâches de pure surveillance. Les générations se heurtent, la coexistence est parfois difficile, houleuse et souvent conflictuelle. Les pupilles en profitent pour s’émanciper de la discipline réglementaire alimentant les oppositions entre anciens et nouveaux éducateurs. Très vite aussi la politique s’en mêle. Considérés comme « gauchistes », les éducateurs se heurtent à la direction et aux « anciens » plus conservateurs.

C’est à cette époque, en 1947, que Marcel Carné décide de tourner le scénario écrit par Jacques Prévert dix ans auparavant : « L’île des enfants perdus » qui s’inspire de la mutinerie de 1934 à Haute-Boulogne. Marcel Carné choisit d’intituler son film « La Fleur de l’âge » et, au printemps, il commence le tournage à Belle-île. La distribution est flamboyante, Serge Reggiani, Arletty, Anouk Aimée, Paul Meurisse, Martine Carol, Jean-Roger Caussimon, Jean Tissier, Julien Carette…Mais des vents contraires soufflent sur ce film, les catastrophes s’amoncellent et le tournage finit par être abandonné après quelques mois. Rien ne subsiste de ce film maudit sinon quelques photographies de plateau. Ce qui devait être un chef d’œuvre devint une légende.

Anouck Aimé dans le film perdu : La fleur de l’âge

(crédits : Fonds Henri Manuel – ENPJJ)

Le règlement de 1955, dans sa méticuleuse précision, fait obstacle aux initiatives émancipatrices : « Il s’agit de tout contrôler, le courrier, la propreté, la toilette, le pliage des couvertures, les lits, les gants de toilette ». Chaque moment de la journée est organisé, programmé. L’obsession de l’oisiveté, « mère de tous les vices » incite les éducateurs à combler le moindre temps libre, « Il faut occuper les garçons et avant tout ne jamais les laisser seuls et inactifs… » La violence des comportements diminue certes d’intensité même si les rapports de force entre les jeunes détenus et les jeunes éducateurs restent la base du quotidien de l’I.P.E S. Graduellement, le nombre de pensionnaires de l’I.P.E .S. de Belle-île diminue : 150 en 1950, à peine 90 en 1960 et moins de 80 en 1967. La doctrine judiciaire a changé. On ne croit plus à ces grands internats de rééducation, comme Haute-Boulogne, qui rendent quasi impossibles le suivi individuel des jeunes et leur prise en charge éducative. La Direction de l’Education Surveillée privilégie désormais des structures plus petites, plus polyvalentes, plus proches aussi des lieux familiaux des mineurs.

Même si, dans la décennie 1960-70, l’I.P.E.S. de Belle-île offre aux pupilles de nombreuses opportunités de se former avec succès aux métiers de la mer ou de l’agriculture et que beaucoup de ses pensionnaires trouvent là la formation qui leur permet de réussir leur réinsertion sociale, l’institution belliloise est un organisme d’un autre temps. De plus, l’atmosphère dégradée qui règne parmi l’encadrement mène l’administration centrale à envisager, dans les années 1970, la fermeture définitive de l’institution. Malgré l’inauguration de bâtiments neufs en 1975, le premier juillet 1977, le couperet tombe inexorablement, l’Institution Publique d’Education Surveillée de Belle-île-en-mer ferme ses portes.

Pour les habitants de Belle-île, l’histoire de la Colonie est terminée, il faut oublier le passé, faire le silence sur cette sombre aventure. Les temps sont au tourisme et à l’exploitation des beautés insulaires. Haute-Boulogne tombe, lentement, en déshérence. Le mur d’enceinte est partiellement démoli. En 1988 l’Auberge de la Jeunesse de Le Palais s’installe sur le site. En 1992, la mairie de Le Palais se porte acquéreur du site et plusieurs bâtiments sont reconstruits et aménagés en logements. En 1999, quand la marée noire provoquée par le naufrage de l’Erika vient endeuiller les côtes de Belle-île, Haute-Boulogne accueille des volontaires venus participer au nettoyage de l’île et au nettoyage des oiseaux mazoutés. Aujourd’hui, outre les services administratifs de la Communauté de Communes et les Services techniques municipaux, Haute-Boulogne abrite plusieurs associations culturelles et caritatives. La disposition générale des constructions est encore lisible même si un seul bâtiment a conservé son aménagement intérieur. Son long couloir bordé de cellules garde le souvenir de ce que fut l’I.P.E.S. des années d’après-guerre.

Pendant plus d’un siècle Haute-Boulogne a connu la misère de l’enfermement, politique ou judiciaire. Révolutionnaires, théoriciens et utopistes de tous poils y côtoyèrent les anonymes emportés dans la tourmente de l’Histoire. Des enfants leur succédèrent, enfants de la pauvreté et du malheur, enfants de la violence et du rejet. Dans les couloirs et les cours de Haute-Boulogne rodent encore leurs fantômes étendant sur ces lieux un voile sombre qui serre la gorge. Si les cris des goélands et le bruit des vagues n’ont pas changés et apportent toujours le souffle du large, ils ne peuvent faire oublier ceux qui, derrière les hauts murs de leur prison ont connu l’insondable douleur de la réclusion. Il serait coupable de ne pas conter leur histoire.

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